Bien sûr, il n’était pas question d’un séjour longue durée, genre Erasmus ou stage professionnel, ni même quelque emballement tumultueux et tonitruant suscité par la formule moderne du Dakar. Juste un petit road-trip, en minibus, avec une douzaine de covoyageurs aussi curieux que moi, et avides de contrées exotiques, sauvages et époustouflantes à la fois.
Vamos a la playa
L’atterrissage à Lima fut une sorte de rêve éveillé. «Bienvenido compañero! » semblait me souhaiter les palmiers sur les avenues de la capitale péruvienne. Le temps des présentations autour d’un café (pur arabica, quand même) en ville, et nous étions partis. Visites d’églises et de cathédrales, de catacombes, et de quartiers populaires, mais également de districts historiques et pittoresques nous remémorant l’époque coloniale espagnole. Tout un symbole.
Puis, après deux jours, le vrai départ, en longeant la côte pacifique via la célèbre Panaméricaine, l’unique route côtière reliant d’un bout à l’autre Anchorage (en Alaska) à Punta Arenas (au fin fond de la pointe chilienne). Mais avant, brève rencontre avec les otaries des îles Ballestas et petit aperçu des stocks de guano (engrais de choix) amassés un peu partout grâce aux déjections des cormorans installés par milliers au large de Paracas.
Après une dégustation du cocktail local, le Pisco Sour, direction Ica, où nous fîmes un arrêt dortoir – sur la route de Puerto Inka – agrémenté d’un tour en buggy dans des dunes désertiques similaires à celles du Sahara. Toujours en chemin, avant de découvrir la chaleureuse et bouillonnante Arequipa (à plus de 2.000 mètres d’altitude), les lignes de Nazca se dévoilaient à nous, sur la route de Puerto Inka, où une baignade matinale bien méritée le lendemain fut de rigueur dans les rouleaux véhéments de ce côté-ci du Pacifique, 17 ans après mon baptême dans ce même océan, mais sur les rivages australiens.
Les trois jours du condor
Puis vint le début des Andes, dont le gravissement était déjà bien entamé, notamment avec des montées à 5.000 mètres, et où mâcher les traditionnelles feuilles de coca se révéla indispensable pour éviter à tout un chacun de collapser sous les vertiges de la haute-altitude. Tout là-haut, c’est le sanctuaire des lamas et des vigognes (espèce protégée), et surtout le royaume de l’alpaga dont la fibre est si troublante au toucher que l’on en comprend vite sa valeur et sa cherté.
Par ailleurs, les gens de l’Altiplano andin ne souffrent d’aucun problème au cours de leurs allées et venues à travers champs, et pour cause! À ce stade de l’altimètre, la pollution et la pression ambiantes des mégalopoles ont l’air d’une chimère.
Après un bref séjour à Chivay, d’où nous partîmes assister à la parade quotidienne et majestueuse des condors au-dessus du canyon de la Colca, l’ancienne capitale de la civilisation inca Cuzco nous accueillit.
Très touristique, mais ô combien importante pour les populations andines, cette ville était le prélude à un des points culminants de notre caravane, à savoir: le Machu Picchu. Je me passerai de commentaires, tellement ce site regorge de trésors, de secrets et d’imaginaire. Juste un détail, et pas des moindres: un des rares endroits visités et entièrement propres sur cette planète.
Pour avoir la paix
Deux semaines s’étaient pratiquement écoulées, lorsque nous fûmes conviés à une nuitée chez l’habitant au bord du lac le plus haut du monde, le lac Titicaca, pour sa part, exceptionnel, vivifiant, véridique, en somme exclusivement terrien!
En vérité, nous rentrions dans le dernier tiers de notre escapade latino-américaine. Une fois la frontière bolivienne passée (avec un tampon en plus sur le passeport) au milieu d’une foule transfrontalière venue échanger victuailles, boissons et fournitures de tout acabit, un van beaucoup plus rustique nous attendait pour nous emmener à La Paz, capitale administrative du pays, qui en impose par sa prestance du haut de ses 3.600 mètres.
Bizarrerie locale, la ville affiche un dénivelé de 1.000 mètres entre certains districts, et, encore plus incroyable, les nantis sont installés en bas, tandis que les classes plus modestes du cru logent en haut…
Un téléphérique des plus élaborés permet d’ailleurs aux visiteurs de profiter du spectacle grandiose et coloré de la cité tentaculaire.
Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises. Faisant suite à la saveur aigre-douce des barrios de la cité et de la vie lentement rythmée, mais tout en respect et en sagesse, des vieilles dames à chapeaux (non dénués de signification du reste), nous dûmes prendre le train, avec ses soubresauts rocambolesques, pour nous rendre à Oruro, aux portes du désert de sel.
Même si ces images ont déjà fait le tour de la Terre, il faut être sur place pour ressentir l’apesanteur des sens. Le Salar d’Uyuni et la Luguna Bianca qui prolonge ce dernier constituaient à eux deux le paroxysme de mon déplacement à des années lumières de mon fief. Là encore, rien ne sert de parler, il suffit juste d’apprécier cette perfection naturelle.
Pour l’anecdote, un après-midi, nous étions à cinq dans un véhicule tout terrain, au milieu d’un visuel sorti tout droit d’une bandedessinée se déroulant sur Mars, lorsqu’un pneu mal inspiré creva.
Alors en route pour la descente de la vallée nous menant au poste-frontière chilien, nous prîmes plaisir à inhaler – l’espace de quelques heures – les vapeurs indicibles de la solitude extrême lors de situations qui tournent au vinaigre, mais dont on devine que l’issue sera salvatrice.
Le soir, nous étions finalement attablés dans un restaurant pour conter notre mésaventure du jour, véritable valeur ajoutée à notre mémoire.
Le plus étroit des trois
Le Chili n’aura duré que trois jours à tout casser, mais qu’importe! Assez de temps aura suffi pour visiter le septentrional village-oasis de San Pedro de Atacama, situé non loin du tropique du Capricorne. En plus de ses spécialités telles que les céramiques et les pièces de vannerie, ce spot fait figure de point de départ – ou d’arrivée – des excursions vers la Cordillère. Bref, on y posa nos sacs pour reprendre notre souffle après deux semaines et demie de vadrouille.
Mais le lendemain, nous continuâmes sur notre lancée un peu plus à l’ouest pour faire un bout de brousse au début du désert éponyme, soit dit en passant une des zones les plus chaudes et les plus arides de toute la planète.
Là-bas, domine la Valle de la Luna qui, comme son nom l’indique dans sa version originale, offre un paysage lunaire, et où le moindre signe de vie ressemble à un mirage.
Ensuite, il nous fallut tracer vers Calama d’où un énième aéronef des temps modernes nous transporta à Santiago, la capitale. Une occasion inespérée d’entrevoir le territoire argentin – autre pays de mes rêves, mais dont je n’ai encore jamais foulé le sol – et les neiges éternelles de ses hauts sommets. En avion, il y a les chanceux, toujours bien placés pour voir ce qui se passe dehors à travers le hublot, et les autres qui demandent… «Qu’est-ce que tu vois ?». Ce jour-là, j’avais tiré le bon ticket – ou le bon billet – en ayant droit aux crêtes de la Cordillère et aux glaciers voisins séparés par une frontière invisible.
Une fois sur place, il régnait une drôle d’ambiance, somme toute difficile à décrire. Mélange de gravité et de légèreté, comme si le poids de l’histoire et des années terribles de dictature avait laissé une empreinte indélébile qui rappelle la population «à son mauvais souvenir» pour lui signifier distinctement la précarité d’une liberté à préserver coûte que coûte, telle un trésor fragile et éphémère.
D’ailleurs, le respect s’imposa dans le quartier de Paris-Londres, au numéro 38 de la rue de Londres (ou celle des torturés, et des disparus), avec ses pavés gravés de dates et de noms, en commémoration des victimes de temps révolus.
La halte devant le palais présidentiel fut une plongée dans mes souvenirs d’enfance, genre de configuration surréaliste et fidèle à l’épique «Tintin et les Picaros», devant une relève de la garde (légèrement teintée de vert-de-gris çà et là) d’un général Tapioca évaporé.
Et comment ne pas attraper le tournis dans le brouhaha infernal, mais tellement vivant, du Mercado central? Et sinon, que dire du charme d’antan du funiculaire de la colline San Cristobal, bientôt centenaire, l’une des attractions touristiques du coin qui séduit les voyageurs du monde entier grâce à la vue panoramique imprenable qu’il affiche sur la Cordillère en arrière-plan?
Et comment ne pas tomber sous les coups de massue du Terremoto, ce fameux cocktail local sans équivalent si l’on en juge par la vitesse à laquelle il monte à la tête, comme la lave surgit du cratère d’un volcan? Et d’un coup, j’ouvre les yeux en tapant la dernière lettre de mon texte.
Pour davantage de clichés (tout en musique), c’est l’enfance de l’art: un clip conçu par votre serviteur vous attend… Dominique Coutant
www.youtube.com/watch?v=Gf4hRMbmhCk