Par Claude François
«Les Luxembourgeois Zaïah et Hervé Amann survolent l’épreuve de dégustation de Bourgueil», titrait la Revue des Vins de France le 11 mars 2019. La RVF organise chaque année différentes épreuves de dégustation à l’aveugle, et une finale annuelle. Remportant un score très élevé et se plaçant à la tête de 79 équipes, ces Luxembourgeois d’adoption ont remporté «haut la main» l’épreuve à l’Abbaye de Bourgueil qui était la troisième étape du Championnat de France 2018-2019, en présence des champions du monde.
Monsieur Amann, comment un champion d’échecs devient-il champion en dégustation?
Il est vrai qu’avant de m'intéresser au vin, je suivais une carrière de joueur d’échecs avec de jolis moments, de jolies rencontres. J'ai pu jouer contre des grands champions comme Anatoli Karpov, champion du monde en 75. J’avais créé un club d’échecs comprenant une cinquantaine de personnes, dont mon épouse Zaïah. A l’occasion d’une soirée chez un membre du club, un professeur de français avait ramené une belle bouteille de vin… A la fin d'une partie d'échecs jouée à l'aveugle, je vois que mon verre est rempli. Alors profane dans le monde du vin, je le sens, le mets en bouche, et trois minutes plus tard, je dis «c'est merveilleux, si on peut faire quelque chose comme ça dans le vin, je vais changer de métier ».
La rentrée suivante, à 26 ans, je me suis inscrit au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole à Beaune. J’ai suivi en un an une formation qui dure normalement trois ans pour obtenir un brevet de technicien agricole en viticulture et oenologie. Mon objectif était de partir en Bourgogne, produire du vin payé à la tâche, et pourquoi pas un jour voler de mes propres ailes. J'avais envie de participer à la production, tellement cela m’avait ému de rencontrer une telle qualité dans la dégustation du vin de la soirée d’échecs, qui figure parmi mes plus grands souvenirs de dégustateur. C'était un Côte-Rôtie La Mouline de Guigal 1984. Un petit millésime, mais un très grand vin.
Mon épouse a craqué également pour le vin ce soir-là. Elle s’est initialement plutôt orientée vers les parfums, elle a un très bon nez. Elle est très compétente, c'est pour ça qu'on forme une bonne équipe.
A quel rythme sont organisés les différents championnats de dégustation de la Revue des Vins de France dont vous avez remporté une épreuve avec votre épouse?
Jusqu'à présent, il y avait quatre épreuves dans lesquelles il fallait être dans les six premiers pour être qualifié pour la finale. Cette année, ça change un peu car au lieu de quatre, il y a maintenant cinq épreuves, suivies de la finale qui aura lieu le 6 juin 2020 à Châteauneuf-du-Pape.
Ensuite, vous avez aussi participé en équipe de quatre au Championnat du Monde, qui a eu lieu au mois d'octobre au Château de Chambord.
Oui, c'était ma septième finale du Mondial. Elle a eu lieu dans un superbe cadre, 27 pays étaient présents. Pour se qualifier, il faut avoir été la meilleure équipe de deux personnes de son pays dans la saison précédente. Celle-ci choisit alors deux partenaires dans une autre équipe. Ainsi, nous étions associés à Guy Bosseler et Valentin Niro, et notre coach était Daniel Poos qui, maintenant qu’il est à la retraite, s'est mis sérieusement à la compétition. Nous avons été très contents de nous classer sixièmes sur les 27 nations C'est notre meilleur résultat, après notre troisième place en 2017.
Comment vous entraînezvous pour les compétitions?
Nous dégustons du vin très souvent, le plus possible à l’aveugle. Nous participons aussi à un maximum de rencontres autour du vin. Et puis, nous sommes dans le club d'oenophiles, Oenomed, avec entre autres Jules Hoffelt et nos trois amis déjà cités; nous procédons souvent à des entraînements chez l'un ou chez l'autre avec des thématiques, sur un cépage, une appellation, un pays…
Est-ce que vous avez déjà reconnu un vin à cent pour cent?
En 15 ans, j'ai fait trois bingos, tout était juste: cépage, appellation, millésime, producteur, cuvée. A Bourgueil, nous avons reconnu un vin de A à Z. Une autre fois, quand je faisais équipe avec Guy Bosseler, on a été les seuls à reconnaître un Vacqueyras blanc.
Pour la fin d’année, quel vin est-ce que vous servirez sur les huîtres?
J'aime beaucoup les huîtres qui sont récoltées au large et qui ne sont pas affinées. Je mets un vin avec beaucoup de personnalité, il faut qu’il ait de la minéralité, de la tension, et j'aime alors aller vers des vins de Bourgogne, comme des aligotés issu de beaux terroirs en coteaux, ou de jolis vins de Chablis bien typés.
J'aime aussi beaucoup les vins luxembourgeois, et avec les huîtres je prends beaucoup de plaisir avec un riesling tendu, sec et minéral. Il y a de très beaux vins chez de nombreux producteurs luxembourgeois, et depuis 25 ans que je suis au Luxembourg, j'ai suivi leur impressionnante progression.
Et quel vin sur la terrine de gibier ?
J'irais vers un vin issu du cépage malbec, un vin de Cahors qui compte huit à dix ans, d'un producteur qui ne travaillerait pas dans l'extraction, mais plutôt dans la finesse.
Un pinot noir du Luxembourg peut être intéressant, tout dépend de comment il est vinifié, mais en fait un saint-laurent s’impose sur le gibier.
Et le saumon fumé ?
Là aussi, un riesling luxembourgeois sec, tendu et minéral. On pourrait aussi aller vers de jolis sauvignons de la Loire, éventuellement de Nouvelle-Zélande, et pourquoi pas sur un rolle de Provence, ou son égal le vermentino, que ce soit de Corse, de Sardaigne ou de Toscane…