Bruno Renders est un expert éclairé des enjeux climatiques et de leurs impacts sur l'économie, et un défenseur ardu des valeurs du développement et de la construction durables.
Dans notre entretien, le fondateur et Administrateur délégué de l'Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment (IFSB), patron du CDEC, expose avec passion comment nous pouvons tous contribuer au développement durable en consommant moins d'énergie et en devenant un "acteur positif de ce changement".
Monsieur Renders, la transition vers une baisse de consommation d'énergie passe par des mesures substantielles et coûteuses comme le remplacement de chaudières. Pouvez-vous comprendre l'incertitude et peutêtre la résilience de nombreuses personnes par rapport à ces investissements?
Bruno Renders: Je peux le comprendre effectivement, parce qu'on vit dans une période un petit peu délicate, d'instabilité. Il est toujours difficile de pouvoir prendre des décisions d'investissement dans des situations peu claires. Toutefois, je pense qu'il faut rassurer les gens. La crise énergétique qu'on vit aujourd'hui nous a démontré qu'on était très dépendants de l'énergie fossile et en particulier de l'étranger. On peut être acteur positif de ce changement, et à la fois réduire notre facture énergétique et en même temps faire un geste pour lutter contre les changements climatiques. Je peux comprendre effectivement que des gens puissent avoir quelques inquiétudes. Mais la meilleure énergie, c'est celle qu'on ne consomme pas.
Alors, comment procéder?
Dans la mesure du possible, il faut se doter de moyens. Il faut essayer de réduire ses besoins, vérifier si la maison est étanche et bien isolée, si on peut installer de l'isolation ou l'améliorer. Ou si on peut remplacer les fenêtres, car il y a aujourd'hui beaucoup de solutions même dans la rénovation du vitrage, permettant d'atteindre la performance du triple vitrage sans devoir nécessairement changer le châssis. Un premier point sera donc de réduire les besoins, isoler son habitation et éviter que la maison soit une passoire énergétique. Deuxième solution, remplacer l'énergie fossile par une énergie ou des énergies renouvelables. Là aussi, il y a de nombreuses solutions qui ont beaucoup évolué avec le temps et qui devraient pouvoir rassurer le citoyen par rapport à la performance des différentes solutions technologiques qui s'offrent à nous. Ainsi, il est faux de croire qu'on ne peut installer une pompe à chaleur que quand la maison dispose d'un chauffage par le sol. C'est une idée reçue, puisqu'il y a aujourd'hui des pompes à chaleur qui fonctionnent à basse et aussi à haute température. Dans les maisons plus anciennes et en l'occurrence des habitations qui datent d'il y a quelques dizaines d'années, on trouve souvent un régime de radiateurs. Alors on peut très bien envisager la combinaison de plusieurs sources d'énergies renouvelables.
Est-ce que le rendement des panneaux solaires est assez efficace dans notre région avec son ensoleillement pas si régulier...?
C'est parfaitement jouable en 2023 à Luxembourg. Bien sûr, on a besoin d'ensoleillement. L'utilisation de solaire thermique peut s'appliquer à l'eau chaude sanitaire mais également à l'apport de calorie pour le chauffage. Évidemment, il faut une toiture adaptée, et il faut étudier la partie technique, mais c'est parfaitement possible. Il reste aussi la solution de la biomasse, soit aux granulés de bois ou pellets, ou aux copeaux de bois, ce qu'on connaît bien dans le pays, pour ceux qui ont un peu d'espace pour pouvoir le stocker. Il y a plusieurs combinaisons possibles.
Est-ce qu'on peut combiner le solaire thermique avec le photovoltaïque?
Absolument. Le solaire thermique, c'est le principe le tuyau d'arrosage que vous laissez dans votre jardin en plein soleil. Quand vous l'ouvrez, l'eau est très chaude. Ici, c'est pareil: utiliser la chaleur et l'ensoleillement pour pouvoir faire chauffer un liquide. Ce liquide peut à son tour pouvoir être transformé en eau chaude sanitaire, celle que nous utilisons tous les jours. La température moyenne est aux alentours de 55 degrés, donc c'est parfaitement suffisant. Avec une bonne orientation, il est possible d'atteindre une couverture solaire thermique sur une année qui dépasse largement les 50 à 60 pour cent en profitant du soleil qui est une source gratuite. C'est quand même un avantage!
Cela étant, on a aussi le photovoltaïque. On utilise la lumière du soleil, les photons, pour la transformer en électricité. Cette électricité peut être utilisée directement dans la maison, pour l'autoconsommation, et le surplus peut être réinjecté dans le réseau et racheté par le fournisseur d'énergie. Il y a plusieurs modèles, et des aides financières qui accompagnent la législation.
Quelle est la solution la plus efficace pour réduire la consommation d'énergie, respectivement pour contribuer à une réduction de l'empreinte carbone?
À l'échelle d'une maison individuelle, la solution sans doute la plus pertinente est d'installer une pompe à chaleur, qui va forcément consommer de l'électricité, et même temps de produire son électricité pour compenser cette consommation électrique qui va forcément augmenter, mais qui va remplacer aussi une consommation de gaz ou de mazout. Je pense que quand on combine les choses, le solaire photovoltaïque, le solaire thermique, la pompe à chaleur ou la biomasse, on peut raisonnablement participer à un assainissement énergétique de la quasitotalité des bâtiments.
Quel est le pourcentage en énergie renouvelable produit au Luxembourg, par rapport à la consommation globale du pays?
Aujourd'hui, on parvient à peu près à onze pour cent de production d'énergie renouvelable pour satisfaire nos besoins en énergie. Ça veut dire que quatre 89 pour cent sont de source non renouvelable ou importés de l'étranger. La vision du gouvernement, qui est en phase avec l'Union européenne et le green deal, est de passer de onze à 37 pour cent d'ici 2030. Chaque bâtiment a un rôle à jouer, chaque citoyen, chaque entreprise. C'est pour cette raison qu'on a mis en place un système d'aides financières. Il y a les aides étatiques, et certaines communes ont décidé de mettre en place des aides supplémentaires pour accompagner cette transition climatique. Entre les deux, il y a les aides des fournisseurs d'énergie qui mettent en place un dispositif financier pour booster notamment la partie photovoltaïque et aussi l'installation d'une pompe à chaleur. Vous avez des aides vraiment substantielles pour transformer votre chauffage, des aides pour enlever votre chaudière mazout et la citerne qui l'accompagne et la remplacer, par exemple, par une pompe à chaleur. S'y ajoutent les aides pour le photovoltaïque et le solaire thermique.
Nous vivons dans un pays privilégié qui a les moyens de sa politique et de ses ambitions. Pour donner un exemple sur le photovoltaïque, depuis le 1er janvier, on a assisté à une baisse de la TVA qui est aujourd'hui à trois pour cent, et on profite d'une aide étatique qui est de 62,5 pour cent si on opte pour le système de l'autoconsommation ou de 20 % avec un tarif garanti d'injection dans le réseau. Peuvent s'y ajouter des aides supplémentaires d'une commune. L'aide est de l'ordre de 20 pour cent si on veut installer des panneaux photovoltaïques sur sa toiture et seulement injecter le fruit de sa production renouvelable dans le réseau électrique. Il y a deux solutions, chacun peut choisir ce qu'il veut faire. Les aides sont en tout cas très importantes. Il faudra que les gens se rendent compte du bénéfice que ça peut représenter, et de l'intérêt: on investit évidemment sur le long terme de la même façon qu'on investit aujourd'hui dans du double ou du triple vitrage.
Dans quelle mesure la crise actuelle affecte-elle l'approvisionnement en panneaux solaires?
La période qui est liée à la crise ukrainienne a effectivement connu un souci d'approvisionnement. Mais cela s'est plus ou moins réglé entretemps. Certaines entreprises ont même décidé d'assembler des panneaux photovoltaïques à Luxembourg, du Made in Luxembourg donc, justement pour répondre à l'augmentation de la demande.
Une solution de participation active est d'ordre coopératif, à l'image de la toute récente "Energiekooperativ Kanton Réimech". Quels sont ses objectifs?
L'EKR est une coopérative énergétique citoyenne qui est liée aux huit communes du canton de Remich, créée fin de l'année 2022 et qui a pour but de collecter des fonds de citoyens pour pouvoir utiliser des toitures de bâtiments publics, qui sont mises à disposition gratuitement par les communes. L'installation de panneaux photovoltaïques permet de devenir ainsi producteur citoyen d'énergies renouvelables.
L'objectif de l'EKR est de permettre à chacun des citoyens de pouvoir participer comme acteurs positifs de la lutte contre le changement climatique. Car tout le monde n'a pas la chance d'avoir un toit qui se prête à des panneaux solaires, et tout le monde n'a pas les moyens d'investir dans une propre installation - mais on peut investir dans une solution collective. C'est le reflet de l'économie circulaire, l'économie collaborative et l'économie liée aux énergies renouvelables.
Cela fait 35 ans que vous vous consacrez à des solutions de durabilité et d'économie circulaire. Avez-vous le sentiment que tout cet engagement se traduit maintenant par du concret?
Cela fait effectivement 35 ans que je travaille dans la durabilité. Je pense que le changement majeur aujourd'hui, c'est que les effets des changements climatiques commencent à être visibles. Cela s'accompagne d'une prise de conscience des gouvernements, mais aussi des citoyens et des entreprises, d'un ensemble d'acteurs. Cette prise de conscience passe par une réglementation qui fait la part belle aux énergies renouvelables. Enfin, il y a un engouement intelligent, parce qu'on se rend compte qu'on peut, d'une certaine façon, agir individuellement et positivement. Il y a quelques dizaines d'années, cette prise de conscience n'était pas à l'ordre du jour. On était dans une économie dite totalement linéaire. On exportait des ressources, on les utilisait puis on les jetait. Aujourd'hui, on est en train de réfléchir à d'autres modèles sûrement plus vertueux et plus pertinents.
Un des indicateurs que nous utilisons dans notre écosystème que j'ai la chance de diriger, c'est l'empreinte carbone. Cela fait plus de dix ans que nous considérons l'impact carbone de nos activités comme un facteur d'orientation stratégique, qui a l'ambition d'être en phase avec les objectifs de la planète et les objectifs européens et luxembourgeois de réduction de nos émissions de 55 pour cent d'ici 2030. Je fais partie de ces climato-optimistes, à l'opposé des climato-sceptiques que je ne supporte plus, qui sont en place pour trouver des solutions. Et aujourd'hui, les solutions existent. Claude François