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"Nous ne devons pas être submergés par la détresse de nos clients"

Un entretien avec Thierry Graul, président de la Fédération des Entreprises des Pompes Funèbres et de Crémation

Le secteur funéraire luxembourgeois est représenté par la Fédération des Entreprises des Pompes funèbres et de Crémation, affiliée à la Fédération des Artisans.

Nous avons rencontré le président de longue date de la fédération, Thierry Graul, qui dirige l'entreprise «Maison Platz» à Luxembourg et à Steinsel, pour parler de différents aspects de la profession et des tendances dans le secteur.

Monsieur Graul, vous dirigez votre entreprise depuis de nombreuses années. Dans une précédente interview, vous avez souligné que les pompes funèbres devaient garder une certaine distance par rapport aux situations difficiles de leurs clients et développer une sorte d'autoprotection. Y parvenez-vous toujours, ou y a-t-il des moments où vous avez du mal à garder cette distance?

Bien sûr, il y a une certaine routine et nous devons nous conformer aux dispositions légales, mais chaque deuil est différent, chaque famille endeuillée vit ces moments différemment. De plus, cela dépend aussi de l'âge du défunt, s'il s'agit d'une personne âgée qui a vécu une certaine vie ou si la famille est ébranlée par la mort d'un enfant, par un accident de la route, ce sont des situations extrêmement dramatiques. 

Dans ces moments-là, il est difficile de dire aux parents que l'on comprend sentiments, leurs parce qu'ils finiront par vous dire comment on peut dire des choses pareilles sans avoir été soi-même dans la même situation. Je dois admettre que ce sont aussi des moments difficiles pour nous. Nous devons cependant garder une certaine distance avec les membres de la famille endeuillés. Nous compatissons, mais nous ne devons pas être submergés par la détresse de nos clients, sinon nous serions mal placés pour exercer notre métier. Nous nous devons d'être un soutien et essayer de partager cet ultime bout de chemin avec eux.

Comment abordez-vous les personnes qui ont perdu un membre de leur famille et à quoi accordez-vous une importance particulière? Par quels mots et gestes essay ezvous d'apporter du réconfort aux personnes endeuillées?

Dans certains cas, la mort peut être un soulagement pour une famille, lorsqu'une personne qui souffrait d'une maladie incurable et qui a été au lit à domicile, à l'hôpital ou à la maison de retraite pendant longtemps décède. Dans ces cas-là, la famille, qui souffre également, a le sentiment que la personne a pu partir. Parfois, nous disons aux gens que la mort a été un soulagement pour le défunt, comme une miséricorde. Même s'il est difficile de l'admettre au début, les personnes qui reviennent nous voir après les funérailles nous disent souvent que nous avions raison, que la mort de l'être aimé était en quelque sorte un soulagement.

Mais comme je viens de l'évoquer, la situation est différente lorsqu'une personne jeune est décédée. Nous essayons bien sûr de réconforter les survivants, surtout s'ils n'ont pas le soutien d'une famille. Nous les accompagnons auprès de la tombe et, dans certains cas, nous essayons de les réconforter par des gestes simples, par exemple en leur touchant le bras, mais c'est toujours cas par cas. Ce sont des choses que nous ne faisons pas automatiquement.

Vous entretenez des relations étroites avec le groupe de soutien psychologique du CGDIS et avec Omega 90. Comment se déroule cette collaboration et qu'en retirezvous?

Nous intervenons lorsque nous constatons que les membres de la famille n'arrivent pas du tout à surmonter le choc d'un décès. C'est relativement fréquent lorsqu'une personne décède à domicile, et dans ces cas-là, nous pouvons faire appel à la cellule de soutien psychologique du CGDIS, qui intervient surtout dans un premier temps, pour soutenir les familles, leur parler et éventuellement s'occuper des enfants qui font partie du ménage, pour les occuper un peu. Car le deuil des enfants est très différent de celui des adultes.

Nous entretenons également des relations régulières avec Omega 90, sa direction et ses psychologues professionnels. J'ai fait partie pendant un certain temps d'un groupe de travail de la Ligue pour la prévention du suicide, mis en place par le ministère de la Famille et le ministère de la Santé, et dont Oméga 90 faisait aussi partie: comment éviter qu'un deuxième suicide n'ait lieu après un suicide dans la famille? C'est un sujet dont on parle rarement, mais c'est une réalité. Nous avons également de très bonnes relations avec "Wesenelteren", une association de parents qui ont perdu un enfant, regroupée dans la structure de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Leur hotline s'adresse aux parents qui ont vécu le même drame. Le message est le suivant: "Vous avez perdu votre enfant, ne le perdez pas à nouveau en ne parlant plus de lui".

Le nombre d'incinérations at-il augmenté par rapport aux enterrements traditionnels?

Les incinérations augmentent effectivement, mais sur l'année, elles n'augmentent pas aussi vite qu'on pourrait le penser. Il est vrai que les crémations sont plus nombreuses dans le sud et le centre du pays, tandis que les enterrements classiques prédominent dans le nord du pays. Les crémations sont courantes lors de rapatriements vers des pays lointains.

Les cercueils et les urnes sont-ils un phénomène de mode et, si oui, quels types de cercueils et d'urnes sont particulièrement à la mode actuellement?

J'ai repris l'entreprise de mes parents il y a 19 ans et les choses ont beaucoup évolué. Les urnes traditionnelles sont de moins en moins demandées et de nouveaux matériaux sont utilisés. Le design a changé, les urnes sont devenues plus attrayantes. Il existe des urnes en poterie qui sont très belles et beaucoup plus personnalisées et qui nous proviennent des Ateliers Kräizbierg. Vous trouverez désormais des urnes qui se dissoudront lorsqu'elles toucheront la terre, alors que si elles sont enterrées dans un caveau, elles resteront inchangées. Nous proposons des urnes colorées, avec des visualisations et des images, et même avec des pierres Swarovski.

Est-il devenu plus courant au Luxembourg de disperser les cendres dans une prairie ou un cimetière forestier?

Il y a maintenant un peu de tout, mais l'effet est plutôt saisonnier, en hiver les cendres sont moins souvent dispersées en forêt que pendant les périodes plus chaudes. Au Luxembourg, la dispersion en forêt est toutefois un peu compliquée. En Allemagne par exemple, les cimetières forestiers sont aménagés, il y a des bancs, des chemins et ils sont accessibles à tout le monde. Au Luxembourg, cependant, le cimetière se trouve véritablement dans la forêt et est difficilement accessible, par exemple, aux personnes qui utilisent un déambulateur ou qui sont en fauteuil roulant. Si les cendres ont ensuite été dispersées à proximité d'un arbre, le nom de la personne en question n'est pas marqué sur l'arbre, on ne trouve qu'un numéro, qui est repris avec les noms des défunts dans l'entrée du cimetière de forêt.

Le premier cimetière forestier avait été créé dans la commune de Betzdorf. Depuis, il y en a un peu partout, même nous, qui nous occupons des enterrements, avons du mal à les trouver tous ou à être informés de l'ouverture d'un nouveau cimetière forestier.

Comment votre profession at-elle dû s'adapter pendant la pandémie, quels ont été les principaux défis?

Nous avons dû nous adapter. Nous avons rapidement eu besoin de vêtements de protection en Tyvek, et le ministère nous a aidés à nous les procurer. Nous avions également demandé à être vaccinés peu après le personnel soignant, mais cela nous a d'abord été refusé, car on pensait que nous ne travaillerions que dans les morgues...

Or, la grande majorité des maisons de soins n'ont pas de morgue nous évoluons directement dans les chambres et devons traverser le bâtiment! En outre, nous devions également être prudents nous-mêmes, car nous ne devions pas courir le risque d'être infectés. Deux entreprises de pompes funèbres ont dû fermer pendant 14 jours parce que le personnel était touché.

D'autre part, les familles dont l'un des membres avait été testé positif au Covid n'ont pas pu assister aux funérailles. Et le nombre de participants était de toute façon limité à cinq personnes. C'est pourquoi les funérailles étaient retransmises par vidéoconférence, afin que les familles puissent tout de même être présentes d'une certaine manière. Aujourd'hui encore, on utilise parfois la vidéotransmission pour les membres de la famille qui vivent dans des pays plus éloignés.

Lorsque nous intervenions au domicile des personnes, nous ne savions pas à quoi nous attendre et nous prenions un maximum de mesures de protection. Les entreprises de pompes funèbres ont toutes travaillé en étroite collaboration, par exemple, elles se sont aidées pour les désinfectants en regroupant tous les achats chez un collègue. Les entreprises de pompes funèbres se sont rapprochées pendant la pandémie.

Et quel est l'impact de la crise actuelle sur votre profession?

La crise actuelle est avant tout une crise du bois. Je pense que tout le monde en parle, surtout les charpentiers, mais nous aussi, puisque les cercueils sont en bois. Les prix ont pas mal augmenté et nous constatons que les clients demandent plus souvent des devis détaillés.

Votre entreprise utilise depuis peu un véhicule funéraire électrique, un modèle spécial très rare. Y a-t-il une tendance à l'utilisation de voitures électriques dans votre secteur?

Jusqu'à présent, il n'y a pas beaucoup de modèles de voitures électriques qui conviennent aux entreprises de pompes funèbres. Il y a déjà un modèle Tesla que nous avons acheté, dont la fabrication dure tout de même neuf mois, ce n'est donc pas un modèle fabriqué à la chaîne que l'on peut acheter facilement. Le prix est beaucoup plus élevé que pour un corbillard avec moteur à combustion, mais c'est le cas pour tous les véhicules dont la transformation coûte autant que la voiture elle-même. Marcel Burmer