De Rosslare à Dublin, dans la province du Leinster, il n'y a souvent qu'un "pas-chassé de géant" à effectuer pour ariver à destination. Mais, pour les aventuriers qui osent faire le chemin à l’envers, en réalisant la grande boucle par le sud et l'ouest de l'Irlande, c’est un tout autre spectacle de découvertes grandioses qui s’offre alors à leurs yeux. Vous êtes prêts? Chiche! Alors, en avant toute...
C’est après une traversée nocturne épique entre Cherbourg et Rosslare, à bord d’un transbordeur qui a dû venir à bout d’une Manche et d’une Mer Celtique pour le moins agitées, que notre expédition familiale devait véritablement débuter sur la terre de Saint-Patrick.
Walk the line!
Malgré un enthousiasme exubérant et contenu à la fois, une légère tension se faisait néanmoins sentir quelques minutes avant un débarquement motorisé qui laissait présager un style de conduite revisitée, mais intransigeant. Et pour cause!
"Keep left" indiquait le premier panneau planté au bord de la route, tel l'inerte stigmate d’un empire du Commonwealth ayant quelque peu déteint. En vérité, en remontant très loin dans l’Histoire, sous la Rome antique, les soldats et les cavaliers – pour la plupart droitiers – se tenaient toujours prêts à croiser le fer à l'improviste avec ceux venant d’en face. Pour cela, ils empruntaient la voie de gauche en gardant leur bouclier du même côté, ainsi que leur épée rangée dans son fourreau. Un premier défi qu'il nous faudrait d'ores et déjà relever.
Renouer avec le passé
Renouer avec le passé D’emblée, depuis l’embarcadère de Rosslare, en direction de Kilkenny, il nous a fallu dévier de notre route à deux reprises. En fait, eu égard à un programme journalier plutôt serré pendant cette première semaine de vadrouille sur la deuxième île de l’archipel britannique, le temps nous était très précieux.
En ce sens, parmi les curiosités touristiques à visiter ou à redécouvrir, la plage de Curracloe, à proximité de Wexford (charmante et discrète station balnéaire), était un passage obligé.
C’est à cet endroit même que le réalisateur américain Steven Spielberg a pu reconstituer une des célèbres plages du débarquement du 6 juin 1944, Omaha Beach en l’occurrence. Ironie du sort, le hasard nous avait fait rouler tout près de ce même rivage sablonneux en arrivant en Normandie la veille.
Le premier arrêt du soir, prévu dans la magnifique bourgade de Thomastown (abritant notamment l’abbaye Jerpoint fondée au XIIe siècle), fut cependant retardé par un détour forcé par Waterford, sise dans le comté éponyme, et ancien bastion viking faisant prévaloir son titre honorifique de plus vieille cité de l’île. D’un point de vue plus personnel, Port Láirge (son appellation en gaélique) était davantage une sorte de retour aux sources, mémoire d’un passé qui avait fait de l’Irlande des années 90 mon pays d’adoption (...).
Le Munster de l'ouest
Le deuxième jour de notre périple fut consacré à une promenade dans le centre historique de Kilkenny, localité très agréable dont l’empreinte culturelle irlandaise est largement palpable.
Les équipes de football gaélique et de hurling contribuent fortement à la fierté de ses habitants, et ce, au même titre que la Smithwick’s, une bière rousse du cru mondialement connue, qui fut aussi brassée dans ce lieu pendant plus de trois siècles entre 1710 et 2013. En traversant le comté de Tipperary, la visite du Rock of Cashel (qui figure parmi les principaux sites historiques de la République d’Irlande), était inévitable. Grand bien nous en fit!
Le lendemain s’annonçait également bien rempli. Ainsi, c’est par un beau matin ensoleillé que nous entreprîmes une excursion dans la belle petite ville portuaire de Cobh, voisine de Cork, la dauphine de Dublin en termes de superficie et de population. Impossible de passer par Cobh sans aller voir son musée consacré à l’épopée à la fois poignante et tragique du plus illustre bateau du monde, à savoir le RMS Titanic.
Preuve en est, c’est au large de ce même port que le soi-disant paquebot insubmersible prit la mer pour la dernière fois après avoirrecueilli à son bord des émigrants espérant une vie meilleure en Amérique; et c'est de Cobh que la toute première immigrée ayant posé le pied sur Ellis Island, Annie Moore, partit accomplir sa destinée à l’âge de 17 ans.
Tout notre petit monde passa ensuite l’après-midi à Cork, dont la physionomie me rappelait sous certaines perspectives la ville portuaire de Liverpool, en Grande-Bretagne. Une tonalité de modernisme dispatchée çà et là entre des ruelles d'autrefois sachant mettre en valeur les devantures des pubs. Le soir même, nuitée à Kenmare, dans le comté de Kerry, après un dîner pris dans un pub bondé et agrémenté de musique folklorique jouée par des habitués, en bref, une soirée de carte postale…
Kerry, the place to see
Des collines à perte de vue, au milieu d'un paysage digne des contes féeriques et moyenâgeux, une faune et une flore à la beauté sauvage, et des lacs si propres que l’on peut étancher sa soif avec l’eau sur laquelle l'on flotte, telle est la description du parc naturel de Killarney. Et pour les pêcheurs de truites, c’est tout simplement le paradis.
À ne surtout pas manquer, dans ce Jardin d’Éden du bout de l’Europe de l’Ouest, le Ross Castle, lieu d’arrivée (dans un bus datant de l'avant-guerre) des vacanciers ayant choisi de traverser les lacs en zodiac, puis de retourner au Kate Kearney's Cottage, par le Gap de Dunloe, en ne parcourant pas moins de sept miles à pied ou en calèche.
Honneur est fait également aux dames, un peu plus en amont, sur la route menant de Kenmare à Killarney avec la "Ladies View", arrêt recommandé, si ce n'est obligatoire, avec son point de vue exceptionnel surla vallée et ses lacs.
"Póg mo thóin"
De mes nombreuses campagnes menées jusqu’au pays du trèfle au cours de ma jeunesse, il ne me restait qu’une vague notion de la signification de cette expression typiquement gaélique. Or, c'était sans compter surle concours providentiel de Liz, la tenancière de l'Anvil Bar, sur la route de la péninsule de Dingle, dans le comté de Kerry. En effet, derrière un caractère bien trempé et un tempérament résolu, cette femme expérimentée et mère accomplie, pleine de passion et de tendresse pour sa région, sa culture et l'histoire de son pays, avait su me rappeler à leur bon souvenir ces quelques mots de gaélique.
À vrai dire, ceux-ci s'apparentent tout simplement à une bonne vieille recette de cuisine bien de chez nous, et usitée pour éconduire crûment, mais avec du doigté, dans la langue de Molière, un de nos semblables s’étant montré un tantinet inconvenant. Par ailleurs, c'est toujours sur les précieux conseils de Liz à propos des perles touristiques du coin à visiter que nous quittâmes le village de Castlemaine avec un certain engouement en continuant toujours plus à l'ouest.
Quelques dizaines de kilomètres plus tard s'élevaient devant nos pupilles ébahies les fameuses Blasket Islands, cette demi-douzaine d’îles les plus occidentales du continent au demeurant, et inhabitées depuis presque trois-quarts de siècle. En face, c’était le Nouveau Monde, aussi imaginaire que lointain…
Point culminant du voyage
Malgré des jambes devenues lourdes et une légère fatigue qui se faisait sentir au fur et à mesure que nous progressions dans notre road-trip familial, nous avions dépassé Limerick au soir du cinquième jour. Le vendredi s’annonçait d’autant plus chargé que des visites impératives, mais inoubliables, s’accéléraient sur notre trajet jusqu’à Galway, en longeant la côte. Après le château de Bunratty, tout près de Shannon, dans le comté de Clare, nous mettions le cap sur les falaises de Moher et la puissance millénaire que ces dernières dégagent inexorablement face à l'Atlantique indomptable. Un truc énorme à voir absolument, et à contempler au maximum!
Ensuite, à moins d’une demiheure du chef-lieu de la province du Connacht, se dressait devant nos mirettes déjà impressionnées le modeste (mais réputé) château de Dunguaire (XVIe siècle) dans un pur style celtique.
Peu après cela, Galway, l’antichambre du Connemara, sanctuaire ancestral et région reculée à l’histoire mythique et intrigante, nous accueillait enfin à grosses gouttes. Peu nous importait, et nous décidâmes de faire fi du crachin local pour aller célébrer l’arrivée du week-end avec les autochtones au O’Connell’s Pub (que je conseille vivement aux voyageurs de passage).
Un samedi dans le centre-ville de Galway est toujours sympathique et cordial; dans ce cas précis, l'adverbe "toujours" n'est pas superflu, car je n'en étais pas à mon coup d'essai, même si c’était il y a très longtemps. Jour de marché oblige, les rues étaient bondées, les emplettes allaient bon train dans les "gifts shops", et nous avions le cœur gros de devoir quitter ce grand ouest pour Dublin, la capitale. La ligne d'arrivée était dans notre collimateur.
Welcome to Baile Átha Cliath
Notre second et dernier dimanche sur le sol irlandais était synonyme d’apothéose, avec une énième marche en ville, mais cette fois-ci, dans une capitale. Baile Átha Cliath, Dublin en gaélique, s’est chargée d’histoires au fil des siècles, lorsqu’elle n’a pas carrément fait l’Histoire.
C’est notamment dans cette ville qu’eut lieu, pendant la Première Guerre mondiale, l'historique "Easter Rising" (l’insurrection de Pâques), véritable point de départ de la révolte des républicains irlandais catholiques contre l’envahisseur séculaire – et authentique ennemi juré – que représentait naguère la couronne d’Angleterre. Et c'est de là même qu'un irrémédiable enchaînement d’événements politiques et militaires majeurs auxquels auront contribué de valeureux personnages tels que Michael Collins et Éamon De Valera finira par déboucher sur l’indépendance officielle du pays en 1922.
Mais Dublin, c’est également le "Ha’penny Bridge", un pont datant du XIXe siècle qui exigeait, selon les dires des anciens, le paiement d’un demi-penny pour le traverser. Sans oublier les grandes artères commerçantes telles que la O’Connell Street (du nom de Daniel O’Connell surnommé "Le Libérateur") ou encore la Grafton Street.
En montant dans le "Dart", le train rapide de banlieue, depuis le petit port de Dún Laoghaire (prononcé "Dun Larry"), on passe en bordure de l'ancien stade de Lansdowne Road, réhabilité et rebaptisé Aviva Stadium, et où le XV du trèfle ne cesse de redorer son blason et recouvre sa fierté d'antan depuis une bonne décennie.
Enfin, et ce fut le clou du spectacle, à Dublin, nous ne pouvions pas faire l’impasse sur la magnifique bibliothèque du Trinity College, la plus vieille université du pays, et sa collection avoisinant les sept millions d’ouvrages (imprimés et manuscrits), dont le "Book of Kells" datant du VIIIe siècle. L'odeur de ce temple de l'érudition et de la connaissance reste indescriptible, mais elle envoûte les passionnés à jamais.
Le jour suivant, il nous fallait lever l'ancre et traverser la Mer d’Irlande pour rejoindre la terre des dragons, le Pays de Galles… Dominique Coutant